Oui allô ?

par Pussy

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Oui allô ?

Cher journal,

Hier j’ai remis mes annonces en ligne. Elles ne sont pas toujours actives. Je jongle entre plusieurs activités et je ne suis pas toujours disponible pour des rencontres. Et puis d’après mon expérience, lorsqu’elles sont actives en continu j’ai l’impression que les clients appellent moins, un peu comme si le fait de n’apparaître que de temps en temps les motivait à me contacter rapidement de peur que je m’en aille à nouveau. 

J’ai donc rallumé mes téléphones professionnels. J’en ai deux car je propose deux profils avec des prestations différentes. Quand j’ai commencé cette activité, je ne donnais pas mon numéro: j’étais étudiante à 100% et n’avais pas la possibilité de répondre au téléphone durant les cours. Chez moi c’était trop risqué car je vivais avec ma famille. Je passais donc des heures à répondre à des mails. J’aimais bien ça, je trouvais que c’était une part de séduction qui contribuait à mon envie de rencontrer la personne. Malheureusement au bout de quelques mois j’ai dû me rendre à l’évidence: beaucoup d’hommes qui m’écrivaient de longues missives s’avéraient finalement être des « lapins » et ne venaient pas aux rendez-vous ou annulaient au dernier moment. Ils devaient sans doute se sentir protégés par l’anonymat d’une adresse mail bidon… Je pense que c’est là que je me suis rendue compte du long chemin que traversent les hommes qui viennent me voir. Ce n’est pas rien d’aller voir une inconnue et de la payer pour du sexe. Même si c’est une pratique vieille comme le monde, elle n’est jamais anodine ni d’un côté ni de l’autre. Cette prise de conscience m’a permis de ne plus le prendre personnellement lorsque je me retrouvais à l’heure du rendez-vous, prête et un peu stressée évidemment, et que je découvrais que mon amant du jour ne viendrait pas. Je l’imaginais alors surfant durant des heures sur les sites d’escorts à la recherche de celle qui viendrait illuminer sa vie le temps d’une belle échappée, en train de se poser mille et une questions sur lui-même: « Suis-je désespéré à ce point ? Et si la fille en face ne me plaisait pas ? C’est quand même beaucoup d’argent… Est-ce que c’est vraiment éthique de payer quelqu’un pour lui faire l’amour ? Et ma femme, mes enfants dans tout ça ? ». 

Maintenant j’imagine le chemin entre leur ordinateur et mon lit comme fait de plusieurs étapes, celles où ils ne font que regarder, puis ils osent entrer en contact « juste comme ça pour voir », ils prennent ensuite un rendez-vous que souvent ils ne confirmeront pas ou annuleront à la dernière minute, les plus lâches n’avertiront pas… Mais je sais que ce n’est là qu’une des étapes à franchir et un jour ils seront dans mes bras, heureux d’avoir sauté le pas. Je regarde donc les lapins avec beaucoup plus de bienveillance et cela m’aide à ne pas me sentir aigrie lorsque je me fais avoir. 

L’autre catégorie de ceux qui désirent échanger de longs mails est constituée des hommes que j’appelle « les fantasmeurs ». Je suis moi-même souvent perdue dans mes pensées et je comprends bien l’attrait du monde de l’imaginaire. Comme je l’ai dit, j’ai souvent participé à l’élaboration de fantasmes partagés et co-construits avec les personnes qui m’écrivent. Par contre si j’ai une certaine tendresse pour les lapins, je trouve que les fantasmeurs ont un fonctionnement beaucoup plus égoïstes: ils avancent masqués car ils savent qu’ils sont en train de me faire travailler gratuitement. Je suis une idéaliste mais il faut bien savoir être pragmatique de temps à autres: l’échange d’une correspondance n’est qu’un prélude à la rencontre en chairs et en peaux et si cette dernière n’arrive pas, alors j’ai donné du temps, de l’énergie et de la créativité sans retour. Je sais que certain·es collègues proposent un service de correspondances érotiques qu’iels facturent à un moindre prix que celui d’une rencontre. Je trouve ça très malin et je pense que les fantasmeurs devraient se tourner vers ces personnes: c’est ok d’avoir envie de rêver mais c’est aussi du travail…

Tout ça pour dire que maintenant je n’interagis avant un rendez-vous que par téléphone et jamais avec un numéro masqué. J’ai l’impression que cela demande à la personne en face de moi un engagement minimum: celui de me donner son numéro. Cependant avoir un téléphone d’escort allumé c’est toute un aventure et pas toujours des plus agréables... Au début je l’allumais sans préparation particulière mais j’avoue que j’ai trouvé ça parfois violent. Par exemple il m’est arrivé de répondre au téléphone et que la première chose que j’entende soit « T’es d’accord qu’on te gicle à la gueule ? ». On est dans deux espaces temps différents: cet homme était dans un processus d’excitation, de mon côté je vaquais à mes activités quotidiennes complètement hors sexualité. Servir de support à la sexualité d’autrui lorsque je ne m’y attends (naïvement) pas est douloureux pour moi, j’ai l’impression d’être déshumanisée par les propos de l’autre, de n’avoir pour unique identité que celle d’objet sexuel fantasmé. Mais ceux qui me mettent véritablement en colère sont ceux qui appellent en pleine nuit, entre une heure et quatre heure matin. Ca m’est arrivé de répondre juste pour comprendre ce qui se passait dans la tête de l’autre. Oui, il était convaincu que je pouvais être chez lui dans les 30 minutes ou qu’il pouvait « passer dans 15 minutes » alors que mon annonce précise bien qu’il faut prendre rdv à l’avance. Tant d’égocentrisme me déconcerte et me fait perdre ma gentillesse. Dans ces cas-là j’ai pris l’adresse et promis monts et merveilles avant de choisir de me blottir dans les bras de Morphée plutôt que dans ceux auxquels je m’étais promise. 

Il y a encore une catégorie dont j’aimerais te parler, elle est plus rare mais si les égocentriques d’avant me mettent en colère, ceux-ci me rendent très triste et sont simplement méchants. C’est un peu enfantin de parler de « méchants », peut-être que « pervers » serait plus adapté, peu importe, tu choisiras toi-même la manière dont tu veut les nommer. 

Quand je réponds au téléphone ils sont gentils et polis et me mettent en confiance. Souvent je me réjouis vraiment de les rencontrer. Ils m’écrivent quelques fois durant les jours qui nous séparent de la rencontre mais sans tomber dans la catégorie des fantasmeurs. Le jour J ils confirment le rendez-vous. L’heure arrivée, il s’excusent d’avoir quelques minutes de retard ou de ne pas réussir à trouver le lieu. Je patiente, je donne des indications complémentaires au besoin. Et après plusieurs dizaines de minutes à me tenir en haleine en me disant qu’ils sont en train de se garer ou de descendre du bus, je me retrouve sous une nuée d’insultes: « Où je suis ? Mais je suis dans ton cul sale pute ! Qu’est-ce que t’as cru ? Que j’allais te donner de l’argent pour te baiser ? T’es tellement moche que même avec un bâton je ne te toucherais pas hahaha ! ». 

Ce ne sont pas les insultes en tant que telles, mais plutôt tout le processus en amont qui est blessant. Pour en arriver là et me faire mal, il a fallu qu’ils me séduisent suffisamment pour que je baisse les barrières et accorde un début de confiance. Le fait qu’ils aient tout calculé depuis des jours pour en arriver là… J’imagine qu’ils doivent être très malheureux ceux qui ont besoin de ça pour se sentir exister, j’ai un peu de pitié pour eux. Je pense qu’ils sont les plus dangereux pour moi. Ce qui m’importe dans mon travail c’est de pouvoir faire une rencontre « vraie » avec mes partenaires et pour cela je dois pouvoir moi aussi m’ouvrir et m’investir dans la relation. Ce genre d’expérience vient casser quelque chose en moi qui ne me donne plus jamais envie de donner et de faire confiance. Je dois me battre très fort contre ça, ne pas devenir amère.

Heureusement la plupart du temps lorsque je réponds au téléphone ce sont des voix à la prosodie rapide et hésitante de ceux qui sont plein de stress et d’excitation de sauter enfin le pas. Je prends quelques minutes pour qu’on échange, ma voix douce les mets en confiance, on ne sait jamais quoi se dire exactement, c’est drôle finalement de décrocher un téléphone pour se mettre d’accord entre inconnus sur une date, une heure, une somme selon lesquels nos corps vont fusionner… 

 

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Raph-à-Ailes
Ecrit par Raph-à-Ailes le mai 5, 2023
Beau récit ! Bravo ! Et sus aux pervers (et je ne suis pas certain·e qu'ils soient même malheureux...) J'aime beaucoup la réflexion sur les lapins :) (même si je n'en ai jamais cultivé lors des rencontres avec des TdS)
fomamour69
Ecrit par fomamour69 le mai 17, 2021
oui tu as raison,je connais beaucoup de mecs qui sont des vrais salaud quand ils parlent de leur aventures avec vous autres... je suis en colere vu que moi meme j'organise des opportunites autour du monde...bein voir tres bien paye avec des clients exigeants mais toujours presents aux RV! Parcontre,il faut tout accepter pour vivre notre monde et trouver le juste milieu! Pas facile j'en conviens! a bientot Pussy j'espere! Donnes moi ton portable un de ces jours! bisous F.
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