Et si la stigmatisation n'existait pas, dis-moi comment j'existerais

par Pussy

4 minutes de lecture.
Et si la stigmatisation n'existait pas, dis-moi comment j'existerais

Cher Journal,

L'une des choses les plus difficiles pour moi dans ce travail est de devoir mentir en permanence. À tout le monde. Bien sûr, rien ne m'y oblige, j'ai des amies qui ont choisi d'assumer ouvertement leur activité, faisant preuve du courage de faire face à la stigmatisation qui nous accompagne. La stigmatisation consiste à être réduite à une image stéréotypée qui ignore l'individualité : "je" cesse d'exister dès que je dis que je suis escort. On ne me voit plus comme une personne spécifique, mais on me réduit à mon travail avec tous les préjugés qui l'accompagnent. Le stigmate est comme une brûlure qui reste toujours attachée à la personne qui le porte, sans qu'elle puisse s'en défaire. Une marque au fer rouge que l'on cache, que l'on montre, ou que l'on redoute que quelqu'un découvre... Personnellement, je pense que si j'avais une baguette magique, c'est cette partie de mon activité que je ferais disparaître instantanément pour améliorer drastiquement mon quotidien. Cela peut sembler abstrait, mais laisse-moi, cher journal, te dresser une petite liste de toutes ces choses qui seraient plus simples et plus belles.

  • Répondre simplement à la question "Qu'est-ce que tu fais dans la vie ?" sans avoir à inventer des métiers imaginaires.
  • Choisir librement les restaurants qui me plaisent lorsque je suis avec des clients, plutôt que de les choisir en fonction de leur éloignement de mon entourage.
  • Publier mes photos d'annonces en affichant mon visage, sans redouter qu'un membre de ma famille reconnaisse telle ou telle partie de mon corps.
  • Pouvoir écrire un CV regroupant toutes les compétences acquises au cours de ma carrière et en être fière.
  • Pouvoir dire à mes ami·es que j'ai passé une mauvaise journée au travail sans qu'on m'encourage à changer de métier.
  • Pouvoir dire à mes ami·es que j'ai la flemme d'aller travailler sans qu'on me regarde avec des yeux pleins de pitié.
  • Que toutes les facettes de mon métier soient considérées à leur juste valeur et reconnues dans leur complexité, ne pas avoir à entendre que mon métier "est facile" alors qu'il est tout aussi complexe que d'autres, voire peut-être même davantage.
  • Avoir le droit de raconter comment s'est passée ma journée en toute honnêteté.
  • Tomber amoureuse et ne pas craindre qu'on me quitte à cause de mon travail.
  • Faire des enfants sans avoir peur de ce que diront leurs copains dans la cour d'école.
  • Ne pas entendre mon métier utilisé comme une insulte.
  • Que mon intelligence ne soit pas remise en question en raison de ma profession.
  • Être crue lorsque je dis que j'aime mon travail et que je l'ai choisi, sans avoir à me justifier.
  • Parler de ma vie sans avoir à chuchoter et me retourner pour voir si on m'écoute dans les lieux publics.
  • Pouvoir utiliser mon argent sans que cela paraisse suspect pour mon âge ou ma situation.
  • Me sentir fière d'être indépendante financièrement et pouvoir profiter du niveau de vie que j'ai acquis au fil des années.
  • Pouvoir faire mon travail en toute légalité sans avoir peur de la police.
  • Être sûre d'être aimée et acceptée par ma famille sans redouter que mon métier fasse tout basculer.
  • Ne pas craindre d'être rejetée en raison de mon travail.
  • Être considérée comme une experte de la sexualité et de la prévention des maladies sexuellement transmissibles.
  • Que l'on ne projette pas sur moi le fait d'être sale ou pleine de maladies.
  • Oser aller vers les gens et ne pas m'isoler de peur qu'on me pose des questions sur moi ou ma vie.
  • Ne pas devoir calculer à quel moment d'une relation je peux "avouer" ce que je fais afin de ne pas trop souffrir si l'autre ne l'accepte pas et décide de couper le lien.
  • Ne pas avoir besoin de faire des études qui ne m'intéressent pas pour créer une couverture professionnelle cohérente.
  • Pouvoir partager ma joie de vivre une vie extraordinaire remplie de mille et une anecdotes drôles et touchantes.
  • Payer en espèces sans être regardée bizarrement.
  • Répondre au téléphone sans avoir besoin de me cacher.
  • Partir au travail sans m'inquiéter que mon amoureux ne ressente de la jalousie.
  • Ne pas être réduite à ma sexualité (ou du moins pas plus que les autres femmes).
  • Avoir accès à des informations fiables sur mon métier et pouvoir me former dans mon domaine.
  • Être convaincue que la police et les services de santé me traiteront avec le même respect et me prendront en charge avec les mêmes égards que quelqu'un d'autre.

Et toi ? À quoi ressemblerait ta vie sans stigmatisation ?

Prends soin de toi,
Pussy

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Raph-à-Ailes
Ecrit par Raph-à-Ailes le décembre 4, 2023
Merci beaucoup Pussy pour votre texte, fort ! Oui, ce métier mérite d'être considéré, reconnu, honoré comme tout autre métier au monde. Chacun devrait avoir discuté un jour avec un·e TdS, avoir fait connaissance avec lui ou elle pour comprendre au-delà des préconceptions, des idées fausses, des préjugés, des insultes, la valeur de ce métier et de celleux qui le pratiquent. Oui, il y a encore du chemin pour informer, éduquer, conscientiser le public. Votre journal y contribue ! Je me permets une petite citation d'un texte que j'ai écrit sur le sujet, pour contribuer à ma manière à changer la couleur d'un mot : Putain "Wouaw, rien que ce mot, prononcé à voix haute, fait vibrer quelque chose à l'intérieur de sa poitrine : PUTAIN ! Un mot, une expression, une exclamation, un qualificatif, un jugement, une profession de foi... Tout, ce mot contient tout. Comme si PUTAIN était la mère de tous les mots. Comme si PUTAIN était LA mère de tous les humains. Sharon se regarde dans le miroir : « PUTAIN que tu es belle ! » Elle se sourit, fredonne un bout de chanson en espagnol, l'interrompt ne sachant plus la suite..." (Extrait de "Le Salon" dans Les in(t)é(r)dits de Raph-à-Ailes) Très cordialement, Raph-à-Ailes
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