Ce que le covid m'a apporté

par Pussy

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Ce que le covid m'a apporté

Cher journal,

Comme toi, comme tout le monde, la crise de coronavirus est venue fortement impacter ma vie: perte de mon travail, de mes revenus, peurs et incertitudes concernant l’avenir… Jusque là j’avais toujours considéré la prostitution comme un métier sûr: où que je me trouve, quelle que soit la situation que je traverse, j’avais la certitude de pouvoir m’en sortir. 

En mars 2020, pour la première fois, seule chez moi et face à mon écran m’indiquant que tous les sites d’annonces avaient été fermé, j’ai réalisé la précarité de mon métier. Non pas seulement en termes financiers - j’ai la chance d’avoir un niveau de vie confortable qui me permet de mettre un peu d’argent de côté chaque mois - mais plutôt dans ses aspects d’exclusion: durant cette période, mes collègues et moi avons fait partie des invisibles, de celles et ceux dont l’existence ne compte pas ou alors seulement en temps que vectrice potentielle de virus. L’état a estimé qu’une heure passée dans notre lit était aussi risquée que participer à un rassemblement de plusieurs milliers de personnes, certaines polices ont même mené une véritable chasse aux sorcières contre celles qui devaient braver l’interdiction de travailler pour simplement se nourrir et plusieurs se sont retrouvées en prison quelques semaines ! J’ai toujours su et je vis depuis longtemps déjà la stigmatisation à laquelle expose le fait d’être escort, mais je pense que la période que nous venons de vivre a donné une nouvelle réalité à cet état de fait.

Comme les médailles ont toujours deux faces, c’est de la partie lumineuse de mes prises de conscience dont j’ai envie de parler aujourd’hui car j’ai réalisé quelque chose qui m’a profondément bouleversée durant ces mois de confinement: l’importance de la relation qui me lie à mes clients.

Lorsque le confinement a été prononcé, j’ai très vite reçu plusieurs messages de Tom qui s’inquiétait de savoir si j’avais de quoi me protéger. Il avait été prévoyant et à l’heure où les rayons de supermarché étaient vides et où une bouteille de désinfectant et quelques masques jetables étaient considérés comme le nouveau graal, il se proposait de venir m’en apporter. J’ai vraiment été très touchée par son attention: après tout nous ne nous voyons qu’une fois par mois, il a une femme, des enfants… Bien d’autres choses à penser à ce moment-là de son côté. Durant les mois où nous n’avons pas pu nous voir nous nous sommes appelés régulièrement. Rien de sexuel là-dedans ni de pécunier, juste pour prendre des nouvelles l’un de l’autre. De son côté il vivait mal le fait d’être enfermé au sens propre comme au figuré dans un mariage qui ne lui convient plus depuis des années, pour moi il était un lien avec « la vie normale », la vie d’avant. J’ai réalisé à quel point ma présence dans sa vie était un facteur de maintien de son équilibre global et qu’à partir du moment où nous n’avions plus la possibilité de nous voir, tout son système familial s’en trouvait perturbé, lui faisant prendre conscience que sa vie actuelle ne lui convenait certainement pas autant qu’il se plaisait à le croire. 

Eric est célibataire et s’est mis à télétravailler dans son petit appartement proche du lac. On se connait depuis quelques mois et une jolie complicité est née entre nous. On parle habituellement beaucoup et, pris dans nos discussions, il nous est parfois difficile de passer à la partie la plus charnelle de nos rencontres. Privés de nos corps, nous avons passé de longs moments à converser par téléphone. Etant donné la confiance qui nous liait, je lui ai proposé que nous innovions en nous essayant au sexe virtuel par skype. Je suis très soucieuse de mon anonymat et je n’aurais pas risqué cela avec n’importe qui, lui non plus. Cette expérience bien qu’amusante, ne nous a pas forcément convenue sur le plan des sens. Cependant le fait qu’il accepte de me rémunérer au tarif habituel pour deux heures devant un écran m’a beaucoup aidée. Lorsque le confinement a été levé, j’ai été aussi surprise que lui de m’entendre proposer de nous retrouver chez lui pour notre prochain rendez-vous. Habituellement je ne me déplace pas mais à force d’entendre le récit de ses balades au bord du lac et au vu des contours de plus en plus flous que la situation donnait à notre relation, j’ai un instant oublié le cadre de nos rencontres. L’idée était lancée et nos retrouvailles en chaires et en sens se sont teintée de couleurs plus intimes qu’à l’accoutumée.

Les parents de Maël étaient très à risque. Habitant encore chez eux, il s’est retrouvé confiné de manière stricte dès le début de la pandémie et n’a pu ressortir que bien après les autres. Cela fait des années que l’on se connait, mais évidemment notre relation se déroule dans le plus grand des secrets. C’est donc à partir de minuit que nous nous donnions rendez-vous à travers nos écrans. Me faisant renouer avec une part très adolescente de ma sexualité, à la fois secrète, transgressive et solitaire. J’ai été touchée qu’il me montre la chambre dans laquelle il a grandit, qu’il me parle des objets et des souvenirs comptant le plus pour lui, de ses peurs concernant la santé de ses parents… Je me sens souvent chanceuse d’avoir accès à l’intimité de mes clients mais dans cette situation cela prenait une dimension encore plus précieuse.

Durant cette période, on a fêté nos cinq ans de relation tarifée avec Adrien. Durant cette période de séparation, nous nous sommes appelés plusieurs fois, tard le soir pendant qu’il pouvait s’éloigner du domicile familial en allant promener son chien. Il y a toujours eu pas mal de séduction entre lui et moi bien que la relation soit cadrée et clair des deux côtés. C’est comme si le temps de cette heure mensuelle passée ensemble, les rôles que nous jouions faisaient vraiment fi de la réalité de son quotidien. Le luxe de s’inventer une vie et d’oublier un temps celle qu’il s’est choisie. Pour la première fois il m’a dit qu’il était marié et m’a parlé de sa fille plus jeune que notre relation. Cela m’a fait bizarre d’imaginer qu’il était devenu père sans me faire part de ce changement important dans son existence. Il a cherché à savoir des choses intimes de moi, comme si l’éloignement et la gravité de la situation mondiale nous poussait à aller vers moins de masque et plus d’authenticité. Nous avons beaucoup parlé de notre relation, de ce que nous nous apportions l’un à l’autre, du cadre et des spécificité d’évoluer dans un cadre tarifé tout en ayant un lien qui s’étend fidèlement sur plusieurs années. Finalement, afin de m’aider financièrement et pour continuer tant à se découvrir qu’à jouer ensemble notre partition érotique, il m’a rémunérée pour l’écriture d’histoires sensuelles dans lesquelles je me suis découverte à ses yeux et aux miens.

Voilà, cher journal, quelques exemples des relations exceptionnelles et sommes toutes assez banales qui ont jalonné mon quotidien durant l’épidémie. Je me sens infiniment reconnaissante et chanceuse de compter ces hommes significatifs dans ma vie qui ont su se montrer présents et soutenant alors que rien ne les y obligeait. J’ai pris conscience que malgré les apparences superficielles des relations escorts-clients, nous sommes avant tout des êtres humains qui cherchons à nous connecter à d’autres êtres humains. Peut-être que ce n’est que dans l’adversité que nous avons l’opportunité de réaliser l’importance de l’authenticité…

Prends soin de toi

Pussy

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Raph-à-Ailes
Ecrit par Raph-à-Ailes le mai 6, 2023
Magnifique témoignage ! j'étais très touché·e en le lisant...
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